Si vous êtes un fidèle du podcast, vous savez que le plaisir d’apprendre est l’une de mes trois valeurs.
Mais comment faire pour développer le plaisir d’apprendre chez nos élèves dans le contexte si particulier du confinement ?
Voici ce qui nous attend dans cet épisode :
- Un tâtonnement nécessaire avant d’imaginer créer un jeu
- Mais, au fait, c’est quoi un jeu ?
- Comment donner envie de jouer aux enfants de jouer à mon jeu?
- Une note plus personnelle pour conclure
Un tâtonnement nécessaire
La période que nous traversons actuellement nous oblige à explorer de nouvelles manières de travailler et j’aimerais vous partager aujourd’hui le jeu de mathématiques que je viens de créer et qui s’intitule : la grande aventure de l’écureuil et de Petit Pawnee.
Au cours de cette “continuité pédagogique”, nous nous posons des tonnes de questions, nous essayons, nous ajustons, bref nous tâtonnons: Est-ce que je donne trop de travail aux enfants ? Ou pas assez ? Est-ce que je fais des révisions ou est-ce que j’avance sur le programme ? Par quel moyen je communique aux parents ? Comment est-ce que je peux différencier ?
La grande aventure de l’écureuil et de Petit Pawnee n’échappe pas à la règle et c’est, par tâtonnement, petit à petit, que cette idée m’est venue.
Mon idée initiale était de réaliser une série de vidéos de mathématiques qui reprenait la plupart des compétences de numération au CP. En voyant la liste des exercices qui s’allongeait, je me suis dit que je ne pouvais pas envoyer juste comme ca par mail une liste de vidéos longues comme le bras. Cela ne serait pas motivant pour les enfants et même angoissant pour les parents qui pourraient se poser plein de questions: “Par où commencer? Comment vais-je avoir le temps de faire tous les exercices? Et si mon enfant n’y arrive pas ?”
Alors, comment faire pour proposer des révisions de maths qui soient engageantes pour les enfants et pour les parents ?
C’est à ce moment là que j’ai dressé une autre liste, une liste qui m’a angoissé, moi… La liste de tous les objectifs de ces révisions!
J’ai des objectifs pour les enfants, pour les parents, et pour moi en tant que professeur:
1. Mes objectifs pour les enfants:
- Je veux que les enfants soient motivés,.
- Je veux qu’ils soient incités à persévérer même lorsque c’est un peu dur.
- Je veux que les enfants soient valorisés dans leur réussite.
- Je veux que chaque élève de ma classe, peu importe son niveau, puisse se sentir à l’aise et ait envie de progresser.
2. Mes objectifs pour les parents:
- Je veux que les parents soient rassurés quant à la progression de leurs enfants. Je pense qu’on ne mesure pas à quel point ils peuvent se poser des questions…
- Je veux que les parents sachent où se situe leur enfant, s’il est en réussite ou en difficulté, s’il utilise les bonnes procédures pour résoudre les problèmes.
3. Mes objectifs en tant que professeur:
- Je veux que les enfants travaillent sur les compétences du programme de CP.
- Je veux savoir si les enfants réussissent ou pas, je veux savoir où ils en sont sans faire une évaluation bête et méchante.
- Je veux que mes élèves gardent du lien avec moi.
- Je ne veux pas que mes élèves passent leur temps devant l’écran. J’ai envie que les révisions se fassent à la fois sur un support papier et sur un support digital.
Enfin, problématique essentielle : l’accessibilité. Il faut que l’accès au contenu des révisions soit simple. Je sais que dans ma classe, tous les parents et enfants ont accès à un email et savent regarder des vidéos sur Youtube.
Voilà pour la liste des objectifs. Ambitieux n’est-ce pas?
En tant que professeur débutant, je suis encore surpris de voir à quel point les enfants adorent jouer. En fait, ce n’est pas tant qu’ils aiment jouer qui m’étonne. Ce qui me surprend le plus, c’est à quel point il est facile de tourner une activité en jeu. Donner une addition et leur demander d’écrire le résultat sur leur ardoise et de la lever le plus vite possible n’est pas perçu comme un exercice, mais la plupart du temps comme un jeu si on réussit à bien le présenter aux élèves. J’ai pris conscience de l’incroyable engagement que peuvent générer les jeux.
C’est pour cela qu’en dressant cette liste, je me suis imaginé créé la grande aventure de l’écureuil et de Petit Pawnee.
Mais au fait, c’est quoi un jeu ?
Nous allons parler des 5 composants du jeu et cela me permettre de vous présenter la grande aventure :
- 1ère composante : il y a un but à atteindre. La grande aventure de l’écureuil et de Petit Pawnee est un jeu qui fonctionne par étape. En clair, on doit réussir une épreuve pour passer à la suite de l’aventure. C’est un mécanisme que l’on trouve dans de nombreux jeux et depuis les débuts du jeu vidéo : depuis le légendaire Mario Bros jusqu’à Candy Crush. Dans ce jeu par étape, le but est que Petit Pawnee, un jeune Indien, aille sauver un écureuil des griffes d’un Grand Ours Blanc. Les personnages ne sont pas le fruit du hasard ou de mon imagination. Ils font référence à une histoire qui parle aux enfants de ma classe. En effet, avant le confinement, nous avions eu la chance de faire notre voyage scolaire et de vivre avec la classe « une veillée des indiens », veillée durant laquelle nous avions entendu une histoire similaire, d’où la ré-exploitation de cette histoire dans le jeu.

- 2ème composante: il y a des règles. Pour avancer dans l’aventure, le joueur doit passer des épreuves en répondant à des questions de mathématiques. S’il a tout bon ou une seule erreur durant l’épreuve, il peut passer à l’étape suivante. Si non, il peut repasser l’épreuve ultérieurement.
- 3ème composante: il y a un feedback immédiat. Chaque action du joueur dans le jeu a des conséquences. Dans la grande aventure, lorsqu’un joueur passe une épreuve, je donne immédiatement la bonne réponse à chaque question posée. Le feedback est immédiat. Si le joueur ne réussit pas, il continue de s’entrainer en manipulant le matériel que je lui propose d’imprimer.
- 4ème composante: il y a compétition/challenge. Le joueur n’a pas la garantie de réussir. Les joueurs ont envie de délivrer l’écureuil, encore faut-il y parvenir…
- 5ème composante : la participation volontaire. Le joueur fait le choix de participer au jeu, il est volontaire!
Cette dernière composante nous amène à la question suivante:
Comment donner envie aux enfants de jouer à ce jeu et surtout de persévérer quand ils font face à une difficulté?
Pour répondre à ces questions, on va parler motivation et on va d’ailleurs retrouver les concepts que nous avions évoquées dans l’épisode précédent d’Effet Eureka sur comment motiver nos élèves.
Si vous l’avez déjà écouté, vous vous souviendrez qu’il y a deux types de motivation :
- la motivation extrinsèque. Pour faire très court, c’est le principe du bâton et de la carotte. Dans la grande aventure de l’écureuil et de Petit Pawnee, si le joueur fait des maths, c’est parce qu’il a envie de délivrer l’écureuil. Ce n’est pas pour le plaisir de faire des maths, c’est pour la récompense d’avoir réussi l’aventure et délivré l’écureuil.
- la motivation intrinsèque, lorsque l’on fait quelque chose pour le plaisir de le faire. Pour développer la motivation intrinsèque, on va chercher à remplir trois besoins:
- Le besoin d’autonomie. Le joueur a besoin de se sentir libre de ses actions. Dans le jeu, on peut passer les épreuves au moment où on le souhaite. On peut regarder les vidéos d’entrainement et pratiquer quand on le souhaite. On peut même sauter les vidéos d’entrainement et passer directement à l’épreuve si jamais on se sent suffisamment à l’aise.
- Le besoin de compétence. Les élèves ont besoin de sentir qu’ils sont capables de réussir et qu’ils progressent. C’est pour cela que dans le jeu de la grande aventure, le premier niveau est très simple pour des élèves de CP. Tous les élèves devraient être capables de passer cette première étape sans difficulté. C’est après que les niveaux se compliquent. Et cela va se compliquer au fur et à mesure.

- Le besoin d’appartenance. Cette histoire est une histoire qui parle aux élèves et je l’ai déjà exploité de nombreuses manières. J’espère aussi que ce jeu va développer la relation entre les parents et les enfants car les parents vont pouvoir aider leur enfant à s’entrainer, et finalement, ils vont résoudre l’aventure ensemble.
Enfin, tout ça c’est ce que j’espère… Je n’ai aucune idée si mon jeu fonctionnera ou pas…
Eh oui, c’est une des plus grandes frustrations de cette période. En temps normal, nous sommes habitués à avoir un retour immédiat des élèves, a voir s’ils accrochent à ce qu’on leur propose ou pas. Durant la période de continuité pédagogique, nous communiquons avec les enfants et avec les parents, mais nous n’avons pas de retour immédiat.
On est passé d’un enseignement synchrone (tous les élèves présents en même temps avec le professeur) à un enseignement essentiellement asynchrone (le professeur envoie des devoirs, mais il n’est pas présent au moment où l’élève fait son travail).
Pour pallier à ce manque et pour pouvoir suivre l’avancée de mes élèves, les enfants (ou leurs parents) doivent m’envoyer un mail à chaque fois qu’ils réussissent une étape. Je leur envoie dans la foulée la suite des aventures. Ils n’ont donc accès aux vidéos qu’au fur et à mesure de leur progrès.
Ainsi, je sais exactement où en est chaque enfant dans l’aventure. J’ai automatisé cette gestion de mail pour ne pas avoir à passer à mon temps à renvoyer les mêmes mails.
Une note plus personnelle
Créer ce jeu m’a demandé un certain effort sur moi-même, notamment sur deux points:
- Il faut accepter de se filmer, d’inventer une histoire, de se mettre à nu dans un format dans lequel on n’est pas forcément à l’aise. Il faut accepter que la qualité de la vidéo ne soit pas idéal, que l’écran bouge…
- J’ai peur d’être jugé… Surtout que dans ce contexte si particulier, il faut accepter de montrer ses secrets de profs aux parents. J’ai peur d’être jugé sur les activités que je donne aux enfants, sur la manière dont j’aborde certaines notions. C’est pour cela qu’en complément des vidéos d’entrainement pour les enfants, j’ai fait un guide à destination des parents qui explique comment l’intérêt que présentent ces exercices dans les apprentissages. Mais, est-ce que ma série de vidéo suit véritablement une progression conforme aux règles de l’art en terme de didactique mathématique?
En conclusion, cette continuité pédagogique nous oblige à sortir de ce que nous avons l’habitude de faire, à nous dépasser et à explorer de nouvelles manières d’être professeur. C’est impressionnant de voir la diversité des propositions et la créativité des professeurs (et des parents) durant cette période.
Je vous ai proposé, dans cette épisode, un de mes projets et j’espère qu’il vous aura inspiré pour créer les vôtres.
Cette phase d’exploration est l’occasion unique de prendre le temps de créer ce qui nous plait et nous correspond en tant que professeur, de trouver de nouveaux moyens de toucher les élèves et de construire avec eux une relation de confiance qui les fera grandir.
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