Nous nous retrouvons aujourd’hui pour la deuxième partie de notre épisode sur l’intelligence situationnelle.
Souvenez-vous, nous sommes en classe de CP, j’ai invité les élèves à choisir un livre dans la bibliothèque et à retourner à leur table pour lire le livre qu’ils ont choisi.
Et voici comment se trouve la classe deux minutes plus tard:
- 6 élèves sont assis en silence à leur table et lisent
- 4 élèves sont près de la bibliothèque et ils la rangent en feuilletant des livres
- 2 groupes de 3 élèves lisent un documentaire ensemble. Ils font quand même pas mal de bruits.
- 4 élèves sont devant la carte du monde : je les vois montrer la carte du doigt. Ils parlent calmement.
- 3 élèves errent dans la classe sans but.
- 3 élèves sont en train de finir un coloriage.
- 2 élèves me demandent de leur lire une histoire.
Je vous ai proposé 5 réponses et pour chacune de ces propositions, nous allons regarder ce qui pourrait se passer :
Dans la première proposition, je ne fais rien! C’est peut-être la solution la moins intuitive, mais elle est loin d’être totalement dépourvue d’intérêt. En effet, si on regarde la classe, une vingtaine d’enfants sont actifs. Même si la consigne n’est pas respectée, on voit qu’ils prennent du plaisir dans ce qu’ils font. Maintenant, on pourrait imaginer qu’au bout d’un moment les trois élèves qui errent sans but viennent perturber les élèves qui lisent tranquillement.
Dans la seconde proposition, je lis avec deux élèves qui me l’ont demandé. Très vite, six autres élèves se joignent à eux dont les 3 qui erraient sans but. Je commence l’histoire, mais je suis très vite obligé de m’interrompre. Le bruit autour de moi a augmenté et il est impossible de continuer la lecture dans le calme.
La troisième proposition est de demander aux élèves de tous s’asseoir à leur table après avoir choisi un livre. Je donne cette consigne et une dizaine d’élèves se ruent vers la bibliothèque en même temps, commencent à vouloir le même livre. Au bout de plusieurs minutes, quelques élèves ne sont toujours pas en train de lire puisqu’ils n’ont pas eu le livre qu’il voulait, certains ne font même pas l’effort d’ouvrir le livre devant eux.
Dans la quatrième proposition, je vais voir un élève en difficulté pour lire avec lui. Je commence la lecture, mais au bout de 30 secondes, un autre élève vient me voir et me demande de lire avec lui. Puis, un troisième. Je n’arrive pas tout simplement pas à lire plus de trois mots sans être dérangé.
Dans la cinquième proposition, je demande aux trois élèves qui errent dans la classe d’aller chercher un livre à la bibliothèque et de lire à leur place. Ils me regardent alors d’un air interloqué et me disent : « Monsieur, ce n’est pas juste, il y en a deux qui font des coloriages, et d’autres qui regardent la carte. Et nous, on est obligé de lire un livre! Ce n’est pas juste!. »
Nous venons d’imaginer ce qui pourrait moins bien se passer dans les 5 propositions, et c’est maintenant le moment de se rappeler de l’objectif que l’on a en tête. Pourquoi organise-t-on ce quart d’heure de lecture? L’objectif est de susciter le plaisir de lire et l’intérêt pour les livres.
Pour ma part, voici ce que je fais habituellement : j’oscille entre la première proposition, ne rien faire, la deuxième, c’est-à-dire lire avec les élèves qui m’ont demandé de lire un livre et la quatrième qui était de lire avec un élève en difficulté.
L’avantage de ce genre de situation, c’est qu’il se répète régulièrement. Ainsi, nous pouvons tester et voir la décision qui marche le mieux, ce qui nous permet d’anticiper et de nous améliorer à chaque fois.
Il existe de très nombreuses situations où nous devons exercer notre intelligence situationnelle. et prendre des décisions. Ces décisions peuvent être tout à fait banales ou cruciales, mais quoi qu’il en soit, cela demande beaucoup d’énergie. Alors, j’essaie de diminuer le nombre de décisions à prendre.
Prenons un exemple:
Imaginez que vous demandiez aux élèves d’écrire sur leur cahier de brouillon au crayon de papier. Les élèves se mettent au travail et un élève lève la main. Il ne retrouve pas son crayon de papier. Que faites-vous?
- A) Vous lui dites d’écrire au stylo bille
- B) Vous lui dites de demander à un voisin de lui en prêter un
- C) Vous lui en prêtez un de la réserve de la classe.
- D) Vous lui demandez de chercher une solution tout seul.
Cette décision n’est pas cruciale, mais vous avez quand même besoin d’un temps de réflexion pour répondre. Sauf si vous avez déjà réfléchi à cette situation et trouvé une réponse que vous pouvez donner systématiquement. Ainsi, vous avez automatisé une décision. Il ne vous reste plus qu’à l’appliquer le cas échéant. Le mieux est encore d’éviter la situation en rendant autonome les enfants et si l’un d’eux ne se souvient pas de ce qu’il doit faire dans cette situation, vous n’avez qu’à le lui rappeler!
Les premières fois où j’étais devant les élèves, je n’avais qu’une vague idée des questions qu’on allait me poser ou des situations dans lesquelles j’allais me retrouver. Avec plus d’expérience, on est mieux préparé à ce qui nous attend, et le fait d’automatiser certaines de nos décisions nous permet d’exercer notre intelligence situationnelle dans les moments où les enjeux sont les plus importants.