Fier, libre, innovant, influent, sportif, curieux: voici des mots qui décrivent les professeurs… sûrement pas le mot imposteur!
Mais qu’est-ce que je fous là ?
Je suis dans la cour de récréation. Devant moi 200 élèves, environ le même nombre de parents. C’est le jour de la rentrée et la directrice est en train de parler au micro, mais je ne l’entends même pas. Sa voix me semble tellement lointaine. Je cherche du regard mes nouveaux collègues. Ils ont l’air aussi inquiet que moi! Dire qu’il y a encore une semaine, j’étais tranquillement installé à mon bureau à m’amuser avec Excel et me voilà prêt à me jeter dans la fosse aux lions…
La directrice appelle les élèves de CM2, ils se mettent en rang devant moi. Je ne sais pas quoi faire, j’ai juste envie de me cacher… La directrice me voit et me dit : « allez les CM2, on y va! » et nous montons dans la classe.
Mes premières minutes devant mes premiers élèves, je me suis vraiment demandé ce que je faisais là, dans cette salle de classe. Tous les regards étaient braqués sur moi, et c’était à moi de jouer ! Ça y est, j’avais fait le grand saut, j’étais passé d’un poste en entreprise à professeur des écoles. Je ne me sentais pas du tout prêt. Mes premiers jours en classe, j’avais vraiment l’impression d’être un imposteur : j’avais tant de questions : comment prendre en main la classe, que faire avec les élèves les plus en difficultés, est-ce que ce que j’ai prévu va leur plaire, est-ce que ca va leur être utile, et puis qu’est-ce que je donne comme devoirs, et puis les parents, et les collègues, et comment on fait pour les francais, les maths ? J’avais peur que la classe ne m’écoute pas, que je n’arrive pas à les intéresser, à capter leur attention.
Je pensais que ce syndrome de l’imposteur allait disparaitre au bout de quelques semaines, ou au bout de quelques mois. Mais, ce n’est pas le cas. Il est toujours très présent. Bien sûr, un peu moins fort que les premiers jours, mais tout de même, il est là…
Durant ma formation, j’ai passé une journée de stage chez une collègue, et alors que nous nous rendions dans sa classe pour démarrer la journée, elle me dit : « Je suis heureux de t’accueillir dans ma classe, mais bon, je ne vois pas trop ce que je peux t’apprendre. » Je n’en revenais pas qu’elle puisse me dire cela. Cela faisait 8 ans qu’elle était en classe, et moi j’étais en responsabilité de classe depuis seulement 8 jours! Rien que de la regarder travailler, j’étais sûr que j’allais apprendre énormément et pouvoir m’inspirer de sa pratique. Mais, si cette phrase m’a autant marqué, c’est parce que c’est à ce moment là que j’ai compris que le syndrome de l’imposteur n’était pas un privilège réservé aux professeurs débutants.
Alors, comment ça se fait ?
En tant que professeur, nous nous retrouvons très souvent dans la peau d’un professeur débutant :
- lorsque nous changeons d’école,
- lorsque nous découvrons un nouveau niveau,
- lorsque nous essayons de mettre en place de nouvelles pratiques
- lorsque le programme change ou tout simplement,
- lorsque nous rencontrons nos nouveaux élèves.
Tout n’est pas à reconstruire, mais rien n’est acquis.
“Etre professeur, ce n’est pas une prise de pouvoir, c’est une prise de risque. »
Erik Prairat
Cette prise de risque se traduit pour moi par une incertitude.
- Sur la gestion du temps:
Lorsque nous arrivons le matin à l’école, nous ne savons pas comment va se passer notre journée. Bien sûr, nous avons planifié tout un programme, mais c’est très rare que tout se passe comme prévu. Mais le plus stressant pour moi au début, ce n’était pas de savoir si j’allais réussir à faire tout ce que j’avais planifié.
- Sur la gestion de classe:
C’était la gestion de classe. J’avais peur de ne pas avoir d’autorité, de ne pas réussir à m’imposer. Je ne savais pas comment réagir à telle remarque ou à tel comportement d’un élève. Bref, j’avais peur de perdre le contrôle. Ce n’est pas évident, car au départ, nous devons construire les limites, mais nous ne les connaissons pas forcément nous-mêmes et certaines élèves profitent de cette zone grise. Même avec de l’expérience, il arrive que nous nous retrouvions face à une classe difficile à gérer et cela remet beaucoup en cause notre manière de voir les choses et de pratiquer notre métier.
- Sur l’apprentissage des élèves:
Est-ce que je m’y prends de la bonne manière pour faire le cours ? Est-ce que je mets en oeuvre toutes les conditions pour que les élèves puissent apprendre ? Est-ce que j’arrive à les motiver ? On constate parfois qu’on passe parfois beaucoup de temps à préparer nos cours, nos séances et finalement, on a du mal à capter l’attention des élèves, à les motiver, à les intéresser. Et puis comment réussir à faire progresser tous les élèves? Est-ce que j’arrive à prendre en compte les besoins de chacun ? On essaie de différencier, mais les difficultés chez certains élèves persistent par delà les années et les professeurs, malgré tous nos efforts et c’est parfois très frustrant.
Toute cette incertitude nous remplit de questions et de doutes. Et puis, elle nous fait nous sentir coupable.
D’autant plus que nous sommes conscients de l’utilité et de l’importance de notre métier de professeur, que nous avons envie de bien faire et de donner le meilleur à nos élèves. Et puis, nous avons l’impression que nos collègues réussissent beaucoup mieux que nous, qu’ils ont de meilleures idées, de meilleures façons de faire. Ou alors, on est déprimé quand on regarde les réseaux sociaux et qu’on voit ce que les autres sont capables de faire et que nous n’arrivons pas à faire ou tellement moins bien…
Cette culpabilité peut nous ronger et nous faire perdre tout le plaisir que nous avons à enseigner. Elle peut aussi nous amener à surinvestir. J’échangeais la semaine dernière avec Emilie qui est professeur des écoles, formatrice d’enseignants et qui publie également un super podcast intitulé « Mes trucs de profs » (commencer par écouter cet épisode de son podcast). Nous partagions notre difficulté à trouver le bon équilibre entre vie professionnelle et vie familiale sans se sentir coupable…
Incertitude, culpabilité, doute, imposture, frustration. Tous les mots que nous avons employés jusque là ne sont pas très positifs, c’est le moins que l’on puisse dire…
Dans cette deuxième partie d’épisode, ça va changer! Nous n’allons utiliser que des mots positifs! Et le premier mot qui me vient à l’esprit quand je pense à mon métier de professeur, c’est….
– Fierté:
Franchement, je suis très fier d’être professeur. Je sais que je n’ai encore fait qu’effleurer la surface du métier et qu’il me reste tant de choses à apprendre. Et comme tous mes collègues, je m’investis à fond. Je sais que nous sommes très très nombreux à penser tout le temps à notre métier, Nous avons ce logiciel qui tourne en permanence de notre tête. Je n’ai pas encore trouvé de solution pour tourner le bouton « OFF » et je vous préviendrais si jamais je le trouve. Mais j’aimerais vous dire que, ce logiciel tournait aussi dans ma tête dans mes métiers précédents. Je pensais tout le temps à mes projets, à mes problèmes, mais en plus je recevais des mails à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Je trouve qu’en tant que professeur, nous avons de la chance car quand nous sommes en vacances, nous ne recevons quasiment aucun email et l’école est fermé alors que quand on travaille en entreprise, la vie continue même sans nous. Nous pouvons laisser passer plusieurs heures sans nous dire que l’on va avoir 50 emails en retard. En fait, nous disposons d’une grande liberté dans la façon dont nous gérons notre temps. D’ailleurs liberté, c’est le prochain mot positif qui me vient à l’esprit quand je pense à mon métier.
– Liberté:
Ce qui m’a le plus surpris en démarrant le métier de professeur, c’est la liberté dont nous bénéficions. Certes, nous sommes dans un cadre avec des horaires fixes, un programme à suivre… mais à part cela nous sommes extrêmement libres. Nous pouvons faire vivre à la classe des projets qui nous ressemblent et qui nous tiennent à coeur. Que nous voulions monter une pièce de théâtre, parler à une classe à l’étranger, que nous voulions faire venir un explorateur, écrire à Thomas Pesquet, hé bien on peut le faire, c’est même encouragé et recommandé!
– Innovateurs:
C’est un autre avantage du métier de professeur. Dès que nous avons une idée, nous pouvons rapidement la mettre en oeuvre et en voir les résultats. Est-ce que ce que nous avons essayé a bien marché? Pourquoi ? En fait, nous sommes en permanence en train d’innover. Innovateur n’est peut-être pas le mot qui viendrait à la bouche d’une personne qui ne vient pas du monde de l’éducation et pourtant, je trouve que les professeurs sont très innovants et souvent, en plus, ils pratiquent l’innovation frugale, c’est-à-dire qu’ils ne disposent pas d’un énorme budget et ils innovent avec les moyens du bord.
On l’a d’ailleurs très bien vu avec la continuité pédagogique, nous sommes capables d’innover, de trouver des moyens de garder le lien avec les élèves, de nous recentrer sur l’essentiel et sur ce qui compte vraiment
– Impact:
Et puis, si la continuité pédagogique nous a montré quelque chose, c’est bien à quel point l’école est utile. A l’heure où de plus en plus de personnes ont envie de changer de métier pour donner un sens à leur action, il n’est pas besoin de démontrer l’utilité d’être professeur. Même si tout est loin d’être parfait, le confinement a au moins montré le rôle que joue l’école dans l’égalité des chances.
Oui, nous avons un vrai impact sur nos élèves! Même si nous ne voyons pas leur progrès au quotidien, nous les faisons grandir!
Il y a quelques temps, je participais à un pot de départ d’un ancien collègue avec lequel j’avais beaucoup travaillé quand j’étais en entreprise. Au cours de la soirée, j’ai croisé le grand patron de mon ancienne boite, il m’a félicité pour ma reconversion et il m’a dit une phrase que je garde toujours avec moi: « C’est bien Emmanuel, mais tu sais, tu ne verras jamais le résultat de ton travail. » J’ai essayé d’argumenter en lui répondant que “si,si, je voyais mes élèves progresser tous les jours ou presque”, mais il a balayé mes arguments d’un revers de manche. Et il a ajouté: “Tu vas laisser une trace à tes élèves qui va durer toute leur vie, ils n’en n’auront peut-être pas conscience eux-mêmes, mais tu vas les marquer. »
– Sportif:
Je ne me rendais pas compte qu’être professeur, c’est faire un métier physique.
On est 100% présent avec nos élèves, à interagir sans cesse avec eux, on est debout toute la journée et quand je m’assois pour corriger mes copies à la fin de la journée, je me dis que, certes, tout ne s’est pas déroulé comme prévu, que je n’ai sûrement pas toujours pris les bonnes décisions, mais qu’au moins, j’ai donné le meilleur de moi-même, que j’ai mouillé la chemise.
Je considère qu’on a le droit d’être fatigué et si on attend les vacances avec impatience c’est qu’on a tout donné durant la période. On a le droit d’être frustré par rapport à une situation qui n’évoluent pas comme on le souhaite ou face à des difficultés d’élèves.
Si nous ressentons toutes ces émotions et sentiments négatifs que nous avons évoqué en première partie de l’épisode, c’est bien le signe que nous sommes investis à fond dans ce travail qui nous tient tant à coeur.
– Explorateurs:
Pour conclure cet épisode, j’aimerais vous partager ma plus grande conviction. Le métier de professeur est un métier que l’on apprend tous les jours. C’est un métier riche, complexe, complet. Tous les jours, nous devenons de meilleurs professeurs! Et ensemble, nous allons continuer à explorer ce métier passionnant.
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